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Droit de la Propriété Intellectuelle | La liberté d'expression et de création face au droit d'auteur. Tintin et sa vie parallèle imaginée – Atteinte aux droits d'auteur ou Droit de parodier ?

Droit de la Propriété Intellectuelle | La liberté d'expression et de création face au droit d'auteur. Tintin et sa vie parallèle imaginée – Atteinte aux droits d'auteur ou Droit de parodier ?

Taxi pour noctambules – 2014 – Marabout

Tintin, Milou, Capitaine Haddock, Dupont&Dupond, Professeur Tournesol, la Castafiore. Ces personnages appartiennent au domaine culturel international et intergénérationnel. Le grand public les connaît, ainsi que Hergé, son créateur.

Leur notoriété n’est plus à démontrer.

Leur protection par le droit d’auteur ne fait pas de doute non plus.

Est-il possible de reprendre et intégrer ces créations au sein d’une œuvre distincte, de genre et de ton différents, sans autorisation préalable des ayants droits ?

C’est la question à laquelle le Tribunal judiciaire de Rennes a dû répondre, dans le cadre d’une action en contrefaçon – notamment – formée par la Société Moulinsart, en sa qualité de titulaire des droits d’auteur d’exploitation de l’œuvre de Hergé, notamment « Les Aventures de Tintin », aux côtés de la légataire universelle de M. Georges REMI, alias Hergé, pour atteinte au droit moral de Hergé, plus précisément atteinte au respect et à l’intégrité de son œuvre.

L’objet du litige ? Des œuvres de l’artiste Xavier Marabout, plus précisément 24 toiles mettant en scène Tintin – et d’autres personnages des albums de Tintin – dans un décor emprunt aux œuvres picturales du peintre Edouard Hopper et une atmosphère qualifiée d’ « érotique » par les ayant-droits d’Hergé. Pour exemple :

 Nightawks (1942) by Edward Hopper (Art Institute Chicago)

Nightawks (1942) de Edward Hopper (Art Institute Chicago)

La présence de personnages féminins « érotisés » aux côtés de Tintin, dans les toiles litigieuses, constituait un des faits majeurs reprochés à l’artiste Marabout :

Petit café du matin, Marabout, 2016

Le petit café du matin, Marabout, 2016

En défense, sur le fond, l’artiste invoquait notamment l’exception de parodie, prévue par l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle, laquelle relève du principe à valeur constitutionnelle de la liberté d’expression.

Aux termes de cet article,
« Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire (…) 3° Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source : 4° La parodie, le pastiche et la caricature, compte-tenu des lois du genre ».

L’enjeu était donc la reconnaissance – ou le rejet – de l’exception de parodie pour ces œuvres litigieuses.

La décision du Tribunal de Rennes était attendue.

Celui-ci s’est prononcé le 10 mai, après avoir mis en balance le droit de propriété qu’est le droit d’auteur avec la liberté d’expression.

Après avoir minutieusement analysé les œuvres litigieuses, le Tribunal a retenu l’exception de parodie, grâce aux éléments suivants :

  • l’identification immédiate de l’œuvre originale au sein des œuvres litigieuses (plus exactement, des deux œuvres de Hopper & de Hergé/Œuvres de l’artiste Marabout) permise via :

    • la distanciation avec l’œuvre originale (du fait notamment de la notoriété de Hergé, des supports et natures des œuvres différents (Toiles/BD), l’évocation omniprésente de Hopper, la signature des toiles litigieuses par l’artiste Marabout, l’absence de caractère dominant de l’œuvre de Hergé au sein des toiles litigieuses, les travestissements et détournements évidents effectués par l’artiste Marabout) ;
    • l’incongruité des situations dans lesquelles se trouvent les personnages de Hergé, qui ne sont normalement pas immergés dans des atmosphères sexualisées ;
  • l’intention humoristique de l’auteur des toiles litigieuses,

    • exprimée par l’artiste lui-même dans la présentation de ses toiles,
    • perçue par les personnes ayant consulté son travail,
    • ressentie par le tribunal lui-même.
  • l’effet humoristique invitant le spectateur à se questionner sur le personnage de Tintin, à imaginer une suite aux scènes reproduites sur les toiles et à en sourire, sans toutefois que cela nuise à l’auteur ou à l’œuvre première.

    Le Tribunal ajoute à cet égard que les œuvres litigieuses ne dénigrent pas l’œuvre première de Hergé car « il ne s’agit pas de représentations à caractère pornographique (…) » mais « les scènes sont seulement sexualisées par la présence de femmes sans doute suggestives du désir mais à l’exclusion de toute représentation d’un acte sexuel ».

Au terme de cette analyse, le Tribunal a conclu que les œuvres litigieuses bénéficiaient de l’exception de parodie, permettant à son auteur de reproduire des œuvres de Hergé sans autorisation préalable des ayant-droits de ce dernier et sans que cela ne constitue une contrefaçon.

La Société Moulinsart et Mme Rodwell ont ainsi été déboutés de l’ensemble de leurs demandes en contrefaçon de droits d’auteur & atteinte au droit moral de Hergé.

Il ne peut être exclu que la Société Moulinsart interjette appel de cette décision. En effet, comment ne pas considérer cette décision comme ouvrant la porte aux inspirations parodiques diverses et nombreuses, non contrôlées et susceptibles de porter atteinte au droit moral de Hergé ?

Ceci étant,
Une autre décision, opposant droits d’auteur de Hergé et liberté d’expression artistique, est attendue très prochainement. Celle du Tribunal correctionnel de Marseille, le 17 juin prochain, dans une affaire opposant la Société Moulinsart à l’artiste français connu sous le nom Peppone qui a réalisé des bustes en résine de Tintin.

Les aventures judiciaires de Tintin ne touchent pas à leur fin.

Pour voir les œuvres de Marabout :
http://www.art-marabout.com/herge-hopper/

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