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Droit Social | L'obligation de sécurité de l'employeur à l'épreuve de la reprise d'activité

Plusieurs tribunaux judiciaires se sont prononcés, en référé, sur la question fondamentale de la préservation de la santé des salariés travaillant sur site (1), en cette période de crise sanitaire.

Dans le contexte épidémique lié au Covid-19, les employeurs doivent impérativement accomplir les obligations prévues par le Code du travail et qui peuvent être résumées selon le triptyque suivant :

– Prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (Article L. 4121-1) ;

– Mettre en œuvre ces mesures sur le fondement des principes généraux de prévention (Article L. 4121-2) ;

– Évaluer les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, compte tenu de la nature des activités de l’établissement (Article L. 4121-3).

La réunion de ces trois obligations fait écho au revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation, le 25 novembre 2015 dans l’arrêt dit « Air France », dont l’attendu de principe est :

« Mais attendu que ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail (2). »

Ainsi, l’obligation de sécurité considérée pendant un temps comme étant une obligation de résultat (3), est devenue une obligation de moyens renforcés. C’est dans cette logique de prévention que des employeurs ont, récemment, été condamnés par les juges des référés, pour :

Premièrement, ne pas avoir bien évalué les risques liés au Covid-19, notamment concernant les risques psychosociaux, en mettant à jour le Document Unique d’Évaluation des Risques Professionnels (DUERP) (4) ;

Deuxièmement, ne pas avoir associé et mobilisé les représentants du personnels et la médecine du travail, compte tenu du fait que l’employeur ne peut décider seul en matière de crise sanitaire (5) ;

Troisièmement, ne pas avoir dispensé de formation pratique, appropriée et adaptée au profit des salariés concernant les précautions sanitaires à prendre et l’utilisation des masques et des gants (6).

Les tribunaux judiciaires, qui se sont prononcés en référé, ont adopté le même raisonnement que celui de la Haute juridiction dans son arrêt « Snecma (7) » selon lequel toutes les activités doivent être suspendues dès lors que l’employeur manque à son obligation de sécurité.

C’est ce que les membres de la DIRECCTE semblaient vouloir anticiper en adressant une mise en demeure aux cinq entrepôts sur six d’Amazon France Logistique leur demandant de mettre en œuvre les mesures de prévention du risque Covid-19 telles que préconisées par le gouvernement, ainsi que le respect des principes généraux de prévention par le biais des mesures barrières et gestes de distanciation sociale.

Mais, faute d’avoir respecté suffisamment ces préconisations, tous ont été condamnés à suspendre une partie de leur activité au motif, notamment, que les méthodes d’évaluation des risques mises en œuvre étaient différentes, alors même qu’il pouvait exister un CSE commun au sein de plusieurs sites Saran et Brétigny.

Finalement, suite à cette ordonnance et à l’arrêt confirmatif de la Cour d’Appel, les différentes organisations syndicales ont trouvé un accord avec la Direction sur les conditions de reprise d’activité de ces entrepôts le 3 juin prochain, sur la base du volontariat.

Même s’il incombe également à chaque travailleur – davantage en cas de maladie contagieuse – de prendre soin de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail (8), « il y a une peur évidente du risque juridique chez les employeurs (9) », celle de voir leur responsabilité engagée.

Encore plus depuis que, l’article 1 de la loi n°2020-546 du 11 mai 2020, prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, est venu modifier l’article L 3136-2 du Code de Santé publique, dans les termes suivants :

« L’article 121-3 du code pénal est applicable en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu’autorité locale ou employeur. »

Ainsi, si la responsabilité pénale de l’employeur pourra être recherchée sur le fondement de la mise en danger de la vie d’autrui, en cas de contamination ou pour avoir exposé les salariés à un risque de contamination, les juges devront néanmoins parvenir à :

– d’une part, établir avec certitude le lien de causalité direct et que le salarié a été exposé à un risque immédiat ;

– d’autre part, démontrer la violation de l’obligation de prudence ou de sécurité laquelle doit résulter d’une règle à valeur normative absolue et contraignante et, de surcroit, être particulièrement circonstanciée et sans équivoque.

Certes, les notes, les fiches pratiques ainsi que le protocole national de déconfinement (10) publiés par le Ministère du travail ont été élaborés sur la base de connaissances précises, mais ils n’en sont pas moins que des guides généraux non adaptés aux spécificités de chaque entreprise et dépourvus de toute valeur contraignante.

Ainsi, l’article L 3136-2 du Code de Santé publique modifiée par la loi n°2020-546 du 11 mai 2020 fera encore certainement couler beaucoup d’encre.

« On ne badine pas avec la santé des salariés, particulièrement en cette période de Covid-19 (11) ».

(1) Voir TJ Lille, référé, 3 avril 2020, n°2020/00380 ; TJ Paris, référé, 9 avril 2020, n°20/52223, La Poste ; TJ Lille, référé, 14 avril 2020, n°20/00386, Carrefour Market.
(2) Cass. Soc., 25 novembre 2015, « Air France », n°14-24444.
(3) Cass. Soc., 28 février 2020, arrêts Amiante, n°00-11.793.
(4) TJ Nanterre, référé, 14 avril 2020, n°20/100503, Amazon confirmé par CA Versailles, 24 avril 2020 ; TJ Havre, référé, 7 mai 2020, n°20/00143, Syndicat CGT des travailleurs de Renault Sandouville c/ SAS Renault ; TJ Lyon, référé, 11 mai 2020, n°20/00593 : les sociétés auraient dû tenir compte des changements organisationnels incessants dans l’évaluation des risques (modification des plages de travail, télétravail, etc)
(5) Idem.
(6) TJ Havre, référé, 7 mai 2020, précité ; TJ Lyon, référé, 11 mai 2020, précité : « Les risques pour la santé et les prescriptions en matière d’hygiène, les précautions à prendre pour éviter l’exposition, le port et l’utilisation des équipement de protection individuelle (EPI) : former et informer sur le port et le retrait des masques et gants en sécurité afin d’éviter une surinfection, sur les niveaux de protections à attendre de ces équipements de protection individuelle et sur leur durée de protection maximale ».
(7) Cass. Soc., 5 mars 2008, arrêt « Snecma », n°06-45.888.
(8) C.trav, Art. L. 4122-1.
(9) D’après les constatations faites par un contrôleur Carsat en relation quotidienne avec ceux qui organisent leur poursuite ou reprise d’activité.
(10) Pierre Mériaux, Inspecteur du travail : « le guide de déconfinement ne fait pas référence au Code du travail (…) ».
(11) Françoise Champeaux, « Amazon condamnée à restreindre son activité pour n’avoir pas suffisamment protégé la santé des salariés », Semaine sociale Lamy, n°1905, 27 avril 2020.

Photo par Tedward Quinn sur Unsplash
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