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Droit Social | Télétravail : la nécessité de bien définir les modalités de réversibilité

L’accord sur le télétravail ou la charte télétravail en vigueur dans l’entreprise précise les conditions de retour à une exécution du contrat de travail en présentiel (1). En leur absence, la réversibilité peut alors être prévue et organisée par l’employeur et le salarié dans le document qui formalise leur accord pour le télétravail. Faute de telles précisions, et selon le contexte, le salarié pourrait refuser de revenir travailler en entreprise. C’est ce qu’il faut retenir des arrêts de la cour d’appel de Lyon du 10 septembre 2021 et de la cour d’appel d’Orléans du 7 décembre 2021.

Rappel : réversibilité prévue dans les accords interprofessionnels depuis 2005.

La réversibilité du télétravail est inscrite dans l’accord national interprofessionnel sur le télétravail du 19 juillet 2005 (2) et dans celui du 26 novembre 2020 pour une mise en œuvre réussie du télétravail. Dans le cas où le télétravail régulier ne fait pas partie des conditions d’embauche, l’employeur et le salarié peuvent, à l’initiative de l’un ou de l’autre, convenir par accord d’y mettre fin et d’organiser le retour du salarié dans les locaux de l’entreprise, dans l’emploi tel qu’il résulte de son contrat de travail. Il est ainsi important de prévoir les modalités précises de cette réversibilité par accord individuel et/ou collectif (3).

Une formalisation précise des modalités de réversibilité du télétravail :

• Télétravail exceptionnel ne signifie pas télétravail provisoire (4)

A la suite de la naissance de son premier enfant, une salariée a signé en juillet 2015 un avenant à son contrat de travail ainsi rédigé : « À la demande de Mme …, il lui a été accordé à titre exceptionnel de travailler à son domicile dans le cadre du télétravail ».

Mais, un an et demi après, elle fût en désaccord avec son employeur, celui-ci lui demandant de revenir travailler dans l’entreprise.

Face aux refus réitérés de la salariée de reprendre son travail au sein de l’entreprise, l’employeur l’a licenciée. La salariée a alors saisi le conseil de prud’hommes notamment pour faire juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir des indemnités. Elle a obtenu gain de cause mais elle a néanmoins fait appel pour obtenir une meilleure indemnisation.

Or, la cour d’appel de Lyon a confirmé le jugement du conseil de prud’hommes. Les juges d’appel ont alors souligné que l’avenant au contrat de travail n’apportait aucune autre précision sur les conditions d’exercice de ce télétravail, notamment sur sa durée et les modalités selon lesquelles il pouvait y être mis fin. En outre, le terme « exceptionnel » mentionné dans l’avenant ne signifiait pas que le télétravail était provisoire mais seulement que l’employeur avait accepté « de façon exceptionnelle » le télétravail pour cette salariée, contrairement à la pratique de l’entreprise. Les juges ont considéré que l’employeur ne pouvait donc modifier cette organisation qu’avec l’accord de la salariée.

• Un retour au travail en entreprise peut constituer une modification du contrat de travail (5)

En 2017, un employeur demande à un commercial, qui ne se rend que très occasionnellement au siège de son entreprise depuis 2009, d’être présent dans les locaux de l’entreprise deux jours complets par semaine. Estimant que ce changement ne peut pas se faire sans son accord, il saisit la juridiction prud’homale d’une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur. Débouté de sa demande par le conseil de prud’hommes, il a interjeté appel du jugement.

Il faisait valoir qu’alors qu’il se rendait habituellement deux fois par an seulement au siège de l’entreprise depuis 2009 et qu’il ne résidait pas dans le même département que celui-ci, son employeur lui avait brusquement demandé d’y passer deux jours par semaine, et notamment le lundi, ce qui l’obligeait à voyager le dimanche.

En outre, si aucun accord sur la mise en place du télétravail n’avait été formalisé entre les parties, il pouvait s’agir d’un accord verbal, comme le permet l’article L.1222-9 du Code du travail, et son employeur ne pouvait pas décider d’une telle modification sans son accord.

Pour sa part, la société faisait valoir qu’aucun télétravail n’avait été mis en place par l’employeur, de sorte que la réglementation afférente ne trouvait pas à s’appliquer. Pour elle, la présence régulière du salarié dans l’entreprise était nécessaire pour permettre les échanges indispensables, la même organisation étant prévue pour l’ensemble de l’équipe commerciale.

Pas de lieu d’exécution de la prestation de travail

La cour d’appel d’Orléans a infirmé le jugement du conseil de prud’hommes et a fait droit à la demande du salarié de la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Tout d’abord, elle a constaté que le contrat de travail signé entre les parties ne prévoyait aucun lieu précis d’exécution du contrat de travail mais que le salarié était chargé de représenter la société notamment en France et en Europe et qu’aucun élément ne permettait d’établir que l’entreprise lui avait confié, comme le contrat en prévoyait la possibilité, un secteur géographique particulier.

Un mode d’organisation du travail établi depuis des années

Par ailleurs, le salarié alléguait également que depuis 2009, il ne se rendait que très rarement au siège de l’entreprise, effectuant ses démarches commerciales chez les clients et communiquant avec son employeur à distance, sans qu’aucune explication ne semble lui avoir été demandée sur ce point. L’employeur avait par conséquent accepté pendant plusieurs années, ce mode d’organisation du travail et le salarié avait pu établir son domicile fort loin du siège de l’entreprise.

Dès lors la société a modifié un élément essentiel du contrat de travail en lui imposant d’être présent au siège de l’entreprise deux jours par semaine, les lundis et mardi. Cette modification du lieu d’exécution de la prestation de travail était de nature à bouleverser non seulement l’organisation professionnelle du salarié mais également ses conditions de vie personnelle puisqu’elle le contraignait à dormir à l’hôtel deux nuits par semaine et à voyager le dimanche. Cette modification du contrat de travail ne pouvait pas être unilatéralement décidée par l’employeur et le salarié était en droit de la refuser.

Dans ces conditions, la poursuite du contrat de travail s’est avérée impossible dans les conditions nouvellement imposées par l’employeur.

Ces deux décisions confirment la nécessité de rédiger, avec une vigilance toute particulière, un acte juridique qui prévoit la mise en place et les modalités précises d’exécution du télétravail.

(1) Article L.1222-9 du Code du travail.
(2) Article 3 de l’ANI du 19 juillet 2005, arrêté du 30 mai 2006, JO du 9 juin 2006.
(3) Article 2.3.5 de l’ANI du 26 novembre 2020, arrêté du 2 avril 2021, JO du 13 avril 2021.
(4) Arrêt de la cour d’appel de Lyon du 10 septembre 2021, n°18/08845.
(5) Arrêt de la cour d’appel d’Orléans du 7 décembre 2021, n° 19/01258.

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