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Droit Social | Les limites de la liberté d'expression des salariés à l'égard de leur employeur

Le régime juridique de la liberté d’expression du salarié a été fixé à l’occasion de plusieurs décisions de la Cour de cassation : « si le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression à laquelle il ne peut être apporté que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché, il ne peut abuser de cette liberté par des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs » (1).

Quant aux organisations syndicales, elles disposent pour l’accomplissement de leurs missions d’une liberté d’expression étendue, qui résulte de l’article L. 2142-5 du Code du travail. Le principe de liberté y est affirmé, sous réserve des infractions de presse que sont l’injure et la diffamation au sens de la loi du 29 juillet 1881.

Ainsi, pour vérifier s’il existe un abus de la liberté d’expression, les juges vont :

– vérifier si les propos reprochés à un salarié présentent un caractère diffamatoire, injurieux, outrageant ou excessif ;
– tenir compte du contexte dans lequel les propos ont été tenus et de la situation de celui qui en est l’auteur ;
– et apprécier l’étendue de la publicité des propos.

Un arrêt de la chambre criminelle de Cour de cassation rendu le 19 octobre 2021 (2) est venu illustrer que les limites de la liberté d’expression peuvent être repoussées assez loin, en prenant en considération le contexte dans lequel les propos ont été tenus par les salariés.

Une liberté d’expression plus grande accordée aux représentants des salariés

Au regard d’un contexte syndical et social particulier, la jurisprudence peut tolérer que les représentants des syndicats tiennent des propos critiques et durs au sujet des agissements de l’employeur, sans pour autant excéder la limite de la polémique syndicale.

Dans l’arrêt de la chambre criminelle ci-dessus évoqué, la Cour n’a pas retenu le délit d’injure punissable à l’encontre d’agents pénitentiaires qui visaient le directeur du centre en le traitant d’esclavagiste.

En l’espèce, une manifestation visant le directeur du centre pénitentiaire de Guyane avait été organisée sur la voie publique, à proximité du centre, par des agents pénitentiaires du syndicat Force ouvrière. Une scène avait alors été jouée, mettant en scène un homme déguisé en colon battant un autre homme, présenté en esclave. Étaient par ailleurs exposées des banderoles visant le directeur du centre et faisant référence au passé esclavagiste de la France.

La Cour a retenu que les propos poursuivis, pour outranciers qu’ils puissent être regardés, entendent dénoncer, par l’utilisation de la caricature faisant référence au passé esclavagiste de la France, les méthodes de gestion du directeur du centre pénitentiaire, qualifiées d’autoritaristes voire de racistes, mais ne le visaient pas à raison de son origine ou de son appartenance à une race. C’est parce qu’elle a retenu le caractère caricatural des propos et le fait qu’ils ne visaient pas personnellement le directeur que la Cour a conclu que les propos des agents ne pouvaient tomber sous le coup de la répression.

Cette décision s’inscrit dans un courant constant de jurisprudence où les juges prennent en considération le rôle de représentation des salariés et le contexte de tension pouvant exister lorsqu’un salarié s’exprime de façon vive à l’égard de son employeur.

Ainsi, un élu du comité d’entreprise avait été licencié en 2009 pour faute grave pour avoir tenu au cours d’une réunion du comité des propos injurieux à l’égard du directeur des ressources humaines. Selon la Cour de cassation (3), aucune faute grave ne pouvait être reprochée au salarié car celui-ci, qui comptait 20 ans d’ancienneté dans l’entreprise, avait tenu ses propos dans un contexte de vive tension opposant les représentants du personnel et la direction. En conséquence, il a été dès lors conclu que ce comportement ne rendait pas impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

Mais la liberté d’expression octroyée aux représentants des salariés connaît néanmoins des limites

Si le contexte dans lequel les propos des représentants des salariés sont tenus et leurs fonctions peuvent permettre une liberté de ton et d’expression plus ample que pour les autres salariés, ce n’est pas pour autant sans limite.

Il a ainsi été jugé qu’un membre du comité d’entreprise avait pu commettre le délit d’injure non publique à l’égard de son président (4).

De même, des propos considérés comme particulièrement diffamants, outrageants et injurieux et sans lien avec la défense des intérêts professionnels, prononcés par un représentant syndical, peuvent être sanctionnés (5). Le Conseil d’Etat (6) a récemment estimé que l’administration peut sanctionner des représentants du personnel qui prononceraient des propos particulièrement agressifs et irrespectueux. Il est rappelé que si lesdits représentants bénéficient d’une « liberté d’expression particulière qu’exigent l’exercice de leur mandat et la défense des intérêts des personnels qu’ils représentent », une telle liberté doit être conciliée avec « le respect de leurs obligations déontologiques », qui résultent notamment du devoir de loyauté, de réserve et de discrétion, qui s’imposent à tous les agents publics.

Les salariés non pourvus d’un mandat bénéficient également d’une liberté d’expression

Les circonstances mais aussi le mode de diffusion, le caractère répété ou isolé des propos à l’égard de l’employeur seront aussi des éléments essentiels à prendre en compte pour déterminer le caractère abusif des propos des salariés non titulaires de mandat de représentation.

Il a ainsi été jugé que du fait de leur mode de diffusion et de leur nature outrageante, les moqueries et les propos racistes tenus sur la page Facebook de la salariée à l’égard d’un supérieur hiérarchique d’origine asiatique, excèdent la liberté d’expression de tout salarié dans une entreprise et présentent un degré de gravité tel qu’ils sont constitutifs d’une faute grave rendant impossible son maintien dans l’entreprise (7).
En l’espèce, la salariée n’avait pas restreint l’accès à son compte Facebook, accessible à toute personne par le biais d’une connexion internet, peu important que le nombre de ses amis soit limité, ce d’autant plus que plusieurs de ses collègues de travail en faisaient partie. Les sous-entendus par référence à des plats d’origine asiatique ainsi que les propos sentencieux tenus font qu’il était aisé d’identifier la personne visée, laquelle au demeurant s’est bien reconnue. Ces propos échangés, qu’ils aient été tenus par la salariée ou approuvés par elle, sans qu’à aucun moment elle n’ait apporté de réserves ou protesté, présentaient indubitablement un caractère injurieux et de surcroît particulièrement raciste.

Il est d’ailleurs intéressant de relever que la position des juges n’est pas toujours la même à l’égard d’une publication sur Facebook, car ils tiennent compte du contexte. En effet, dans un arrêt rendu par la chambre sociale le 12 septembre 2018 (8), la Cour de cassation a confirmé le caractère injustifié du licenciement intervenu contre un salarié ayant tenu des propos dénigrants envers son employeur sur le réseau social Facebook. Ces propos, tenus au sein d’un groupe « fermé » de 14 personnes, ayant un caractère privé selon la Cour, ne pouvaient justifier une sanction disciplinaire. Dans cette affaire, une salariée avait été licenciée pour faute grave à la suite de la lecture par son employeur, de propos dénigrants tenus sur un groupe fermé Facebook dénommé « Extermination des directrices chieuses ».

Les contours de ce qui relève de l’abus de la liberté d’expression d’un salarié peuvent parfois être difficiles à cerner et les restrictions à la liberté d’expression doivent être justifiées et proportionnées. Il faut trouver l’équilibre entre d’une part, l’autorité de l’employeur et la loyauté qu’il doit pouvoir attendre des salariés et d‘autre part la liberté pour le salarié de s’exprimer et de donner son avis.

(1) Cass. soc., 30 oct. 2002, n° 00-40.868 – Cass. soc., 5 mai 2004, n° 01-45.992, inédit. – Cass. soc., 9 nov. 2004, n° 02-45.830– Cass. soc., 18 nov. 2003, n° 01-43.682, inédit. – Cass. soc., 14 juin 2005, n° 02-47.455– Cass. soc., 2 févr. 2006, n° 04-47.786
(2) Cass. Soc.19 oct. 2021, pourvoi n°20-86.559
(3) Cass. Soc. 27 février 2013, pourvoi n°11-27474
(4) CA Poitiers 25-5-1984 n° 533.
(5) CAA de Bordeaux, 8 novembre 2008, Juliette X C/ Commune de Rémire-Montjoye, n° 07BX01721
(6) CE 27 janvier 2020, n°426569
(7) CA Paris, 2 avr. 2019, n° 17-02130.
(8) Cass. Soc. 12 septembre 2018, n° 16-11.690

Photo par Oleg Laptev sur Unsplash
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