Avocats
Droit de la Propriété Intellectuelle | Selfies d'influenceurs : une protection par le droit d'auteur ?

Notre équipe PI présente le cas d’une influenceuse qui a assigné la Société de prêt-à-porter MAJE pour contrefaçon de ses droits d’auteurs, ainsi que pour des actes de concurrence déloyale et parasitaire.

L’article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que « Les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination ».

Cet article pose le principe d’indifférence de la forme, rappelant que la loi ne permet pas aux juges de se fonder sur la forme d’expression choisie par un auteur pour lui refuser le bénéfice de la protection accordée par le droit d’auteur.

Aussi, le droit d’auteur peut protéger des créations de natures très diverses, dès lors que cette création est formalisée (perceptible) et originale. L’originalité est définie par la jurisprudence comme l’empreinte de la personnalité de l’auteur, laquelle résulte généralement de l’expression ou de la combinaison de ses choix créatifs et arbitraires.

Pour illustrer ce principe, nous exposons le cas d’une influenceuse qui a assigné la Société de prêt-à-porter MAJE pour contrefaçon de ses droits d’auteurs, ainsi que pour des actes de concurrence déloyale et parasitaire.

En l’espèce, elle estimait que son ‘rituel’ quotidien consistant en la prise d’un ‘selfie’ dans une cage d’ascenseur en compagnie de son chien était original.

Elle reprochait à la société MAJE d’avoir lancé une campagne publicitaire intitulée « Maje, my dog and I » dont elle considérait qu’elle constituait la reprise de visuels reproduisant la combinaison des caractéristiques revendiquées de son ‘rituel’.

Déboutée en première instance sur ses demandes fondées sur la contrefaçon de ses droits d’auteurs, le Tribunal judiciaire de Paris avait néanmoins retenue la réalisation d’actes parasitaires, en raison des ‘nombreuses similitudes que présentent les deux visuels en conflit‘.

Aux termes d’un arrêt en date du 12 mai 2023, la Cour d’appel de Paris a débouté l’influenceuse de l’intégralité de ses demandes.

Sur le droit d’auteur,

L’influence s’est ici heurtée à la difficulté de définir et d’expliciter les contours de l’originalité de son œuvre. La Cour rappelle en effet que « seul l’auteur est en mesure d’identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole ».

En l’espèce, le seul concept d’un selfie pris dans une cage d’ascenseur en compagnie de son chien ne peut faire l’objet d’une protection au titre du droit d’auteur.

L’influenceuse a dû définir ce critère essentiel de l’originalité en se référant à un seul cliché en particulier, une « story » accessible temporairement (24h) et constatée par huissier.

l’influenceuse soutenait à cet effet que l’originalité de ce cliché découlait de la combinaison des choix artistiques suivants :

– le choix du décor, une cage d’ascenseur au revêtement argent éclairée par une lumière artificielle et non un lieu à l’extérieur avec une lumière naturelle ;

– le choix du sujet c’est-à-dire de se photographier elle-même avec un téléphone au lieu de faire appel à un photographe professionnel ;

– le choix d’une posture particulière, la laisse de son chien dans une main, son téléphone portable dans l’autre main et le regard vers le bas ;

– le choix de mettre en scène son chien ;

– le choix du cadrage c’est-à-dire en optant pour un format vertical, permettant une photographie en pied et la mise en valeur de sa tenue.

Cette augmentation est rejetée par la Cour, qui a estimé que l’influenceuse n’explicitait pas les raisons ayant motivé ces choix que celle-ci prétendait avoir fait. Aussi sans autre démonstration de ces choix « personnels », la Cour retient que le selfie revendiqué se « bornait à reproduire l’éclairage artificiel de l’ascenseur dans lequel il est réalisé sans autre intervention ».

De plus, la Cour a retenu, comme le prouvait la Société MAJE, que la combinaison revendiquée était déjà utilisée par de nombreux influenceurs avant elle, dont certain bénéficiant « d’une audience beaucoup plus étendue ».

Pas plus que cette combinaison, le fait qu’elle était devenue son « rituel quotidien » diffusé sous forme de ‘story’ Instagram pour présenter les tenues qu’elle avait choisies de porter, a été considéré comme inopérant : cette « habitude » ne pouvant caractériser l’originalité, de même le fait que certains de ses abonnés aient cru la reconnaître sur les clichés de la Société MAJE.

Cette position de la Cour n’est à notre sens pas une surprise.

En effet, afin d’apprécier l’originalité d’une photographie, les juges recherchent classiquement si l’empreinte de la personnalité de l’auteur se reflète dans la combinaison des choix qu’il a pu faire pour les prises de vues, le sujet et le moment, la détermination de l’angle et du cadrage, la préparation de la mise en scène, le réglage de la lumière et des éclairages, la sélection et de la correction des couleurs, le type de pellicule utilisé …

Or, dans le cadre d’un ‘selfie’ pris avec un téléphone dans une cage d’ascenseur, la spontanéité d’un tel cliché semble difficilement conciliable avec ces critères, à défaut de justifier d’une mise en scène tout à fait particulière et spécifique.

La Cour ayant débouté l’influenceuse de sa demande principale au titre du droit d’auteur, elle s’est ensuite prononcée sur les demandes subsidiaires fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire.

Sur la concurrence déloyale,

Sur cette question, l’influenceuse soutenait que l’exploitation par la Société MAJE d’une image présentant des ressemblances avec sa photographie antérieure était de nature à créer un risque de confusion entre leurs activités.

La Cour écarte également ce moyen, retenant notamment que la reprise des éléments dans le cliché critiqué de la publicité «’My dog and I’» ne caractérise pas un comportement déloyal de la part de la société Maje, qui ne fait que s’inscrire dans la tendance du moment.

De même, l’argument tiré du fait que le mannequin représenté sur le cliché ressemblait à l’influenceuse a été écarté, le risque de confusion invoqué portant alors sur la personne de l’influenceuse et non sur les services qu’elle offre dans le cadre de son activité.

L’arrêt retient également la notoriété « relative » de l’influenceuse, qu’elle qualifie de « micro-influenceuse » bénéficiant d’une audience limitée, comparée à celle de la Société MAJE.

Sur la concurrence parasitaire,

La Cour écarte ce moyen, retenant que l’influenceuse échoue à démontrer une notoriété ou une valeur économique individualisée dans le sillage de laquelle la Société MAJE se serait placée afin d’en tirer profit.

Les actes de parasitisme ne peuvent résulter des seules ressemblances existantes entre les photographies en cause.

Si l’influenceuse avait été en mesure de prouver une notoriété particulière et/ou une singularité particulière justifiant que le rituel du ‘selfie’ dans l’ascenseur accompagné d’un chien constituait son signe de reconnaissance, alors la solution retenue quant à la concurrence parasitaire aurait pu être différente.

Dès lors, cette solution d’espèce n’exclut pas, par principe, toute protection pour les publications d’influenceurs.

Toutefois, avant d’initier toute action judiciaire, l’influenceur doit se ménager la preuve de l’originalité de sa publication (et notamment que la combinaison revendiquée de ses choix ‘artistiques’ n’est pas usuelle et répandue) et/ou d’une notoriété particulière, justifiant notamment d’une valeur économique individualisée.
­

* * *
­

Notre équipe reste à votre disposition pour vous accompagner et vous conseiller au mieux de vos intérêts, pour tout projet visant notamment au respect de vos droits d’auteur.

Photo par Pascal Mager sur Unsplash
MSI Global Alliance, un réseau mondial présent dans 84 pays et regroupant plus de 200 sociétés indépendantes d'avocats, de comptables et de conseillers fiscaux.
Réseau Entreprendre Paris est une association regroupant 250 chefs d'entreprises qui accompagnent et conseillent les entrepreneurs dans la création et la reprise de sociétés.

CGU/Politique de confidentialité

© Schmidt Brunet Litzler