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Droit de la Propriété Intellectuelle | Régime de la création salariale : vers un assouplissement des règles applicables ?

L’approche du droit d’auteur français étant historiquement ‘individualiste’, attachée à l’auteur personne physique, il peut être en pratique relativement compliqué pour le régime de la création salariale de s’y conformer.

En effet, plusieurs dispositions du Code de propriété intellectuelle s’opposent à la validité d’une clause insérée dans le contrat de travail qui disposerait que les droits d’auteur des créations du salarié seront automatiquement cédés à son employeur.

Il s’agit notamment des articles suivants :

– L’article L111-1, qui dispose que l’auteur jouit des droits attachés à son œuvre ‘du seul fait de sa création‘ et précise également que l’existence d’un contrat ‘de louage ou de service‘ n’emporte pas dérogation à cette jouissance ;

– L’article L131-1, qui prohibe toute cession globale d’œuvres futures ;

– L’article L131-3, qui subordonne toute cession de droit d’auteur à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession, de même que la délimitation de l’étendue, la destination, la portée géographique ainsi que la durée ;

– L’article L131-4, qui prévoit que, en contrepartie de la cession des droits, l’auteur doit bénéficier, en principe, d’une participation proportionnelle aux recettes d’exploitation, rémunération qui peut dans certain cas être évaluée forfaitairement.

La technique contractuelle s’est bien évidemment adaptée afin de sécuriser l’exploitation sereine et paisible des œuvres produites par des personnes morales et réalisées par leurs employés.

Aussi, l’usage le plus répandu est d’inclure dans le contrat de travail une clause de cession de droit relativement globale, prévoyant que le salarié et l’employeur se rapprocheront, au fur et à mesure de la réalisation des œuvres issues du contrat de travail, afin de formaliser la cession des droits.

Durant l’exécution du contrat de travail, le salarié et l’employeur organisent alors – régulièrement si nécessaire – une cession de droit par écrit, prévoyant notamment une rémunération complémentaire spécifique à chacune des cessions de droits.

Toutefois, une tendance jurisprudentielle récente tend à assouplir ce régime relativement rigoriste, comme en témoigne l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 25 janvier 2023 (RG n°19/15256), qui a jugé que :

– Une clause de cession de droits d’auteur stipulée à un contrat de travail n’est pas nulle en application de l’article L. 131-1 du CPI dès lors qu’elle délimite le champ de la cession à des œuvres déterminables et individualisables, à savoir celles réalisées par le salarié dans le cadre du contrat de travail et au fur et à mesure que ces œuvres auront été réalisées.

Une rémunération forfaitaire n’opérant pas de distinction entre la rémunération de la prestation de travail et la contrepartie de la cession des droits d’auteur est licite.

En l’espèce, la salariée avait conclu avec son employeur un contrat de travail à durée indéterminée, lequel contenait une clause stipulant une cession à l’employeur « de l’ensemble des droits de propriété intellectuelle (…) relatifs aux créations réalisées dans le cadre du présent contrat, au fur et à mesure de leur réalisation », sans toutefois prévoir d’autre rémunération que le salaire.

Estimant que l’exploitation des œuvres par des entreprises tierces, licenciées de son employeur, justifiait d’une rémunération complémentaire (en application de l’article L131-4 précité), la salariée a assigné son employeur devant le Tribunal judiciaire de Paris, soutenant notamment que ses créations n’avaient pas été valablement cédées à son employeur.

Par jugement du 5 juillet 2019, le Tribunal la déboutait de l’ensemble de ses demandes. La Cour d’appel de Paris confirme, rejetant les contestations de validité de la cession fondées sur un prétendu non-respect des dispositions de l’article L. 131-1 du CPI et sur l’absence d’une rémunération de la cession distincte du salaire.

En effet, la Cour a retenu que cette clause « n’est pas nulle dès lors qu’elle délimite le champ de la cession à des œuvres déterminables et individualisables à savoir celles réalisées par la salariée dans le cadre du contrat de travail et au fur et à mesure que ces œuvres auront été réalisées. Ainsi, la clause de cession n’encourt pas le grief de cession globale d’œuvres futures puisqu’elle ne vise pas globalement les œuvres objet de la cession ; en outre, elle ne porte pas sur des œuvres futures mais sur des œuvres réalisées, la cession n’opérant qu’au fur et à mesure de la réalisation ».

Aussi, dès lors que la clause de cession prévoit (i) qu’elle porte sur les œuvres réalisées par le salarié dans le cadre du contrat de travail et que (ii) la cession ne s’opérera qu’une fois les œuvres seront réalisées, celle-ci respecte l’interdiction posée par l’article L131-1 du Code de la propriété intellectuelle.

Concernant l’absence de rémunération complémentaire, il ressort de l’arrêt que les juges ont clairement considéré possible de prendre en compte une rémunération forfaitaire incluse dans le salaire.

En effet, bien que l’article L131-4 prévoit une contrepartie à la cession des droits, aucune loi n’impose que la rémunération forfaitaire soit distincte du salaire.

Toutefois, cette décision reste à nuancer. En effet, l’arrêt insiste sur la réévaluation de la rémunération de l’auteur salariée réalisée par avenant au contrat de travail, et la perception par cette dernière, sous forme de dividendes, des résultats de son employeur ce qui semble – en l’espèce – justifier l’accord des parties sur la contrepartie financière de la cession des droits de la salariée à son employeur.

Si la rémunération avait été nettement inférieure, la solution dégagée par l’arrêt aurait peut-être été différente.
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Photo par Rachael Gorjestani sur Unsplash
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