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L'exercice du droit de grève : conditions, protection et limites

En l’absence d’une réglementation dans la Constitution, de définition dans le Code du travail et en raison de l’abondance des contentieux relatifs à l’exercice du droit de grève, la jurisprudence a progressivement défini un cadre précis, bien qu’évolutif, de la grève ainsi que de ses conditions d’exercice, de sa protection et de ses limites. Par un arrêt du 23 novembre dernier, la chambre sociale de la Cour de cassation apporte une nouvelle précision quant à l’étendue de la protection des salariés exerçant leur droit de grève.

• Rappel des conditions d’exercice du droit de grève

La définition de la grève telle qu’elle résulte de la jurisprudence consiste dans une cessation collective et concertée du travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles dont l’employeur a eu connaissance (1).

Quatre conditions doivent être réunies pour qu’un mouvement entre dans ce cadre :

– La cessation totale du travail par les salariés qui revendiquent l’exercice du droit de grève. Ils ne peuvent se contenter de se libérer de certaines obligations.

– Un caractère collectif et concerté : la grève résulte nécessairement d’une décision collective du travail et doit être suivie par plusieurs salariés, exception faite des entreprises ne comportant qu’un seul salarié ou du salarié souhaitant participer à une grève lancée au niveau national.

– Des revendications d’ordre professionnel, tels que des sujets relatifs aux conditions du travail mais une solidarité envers d’autres salariés est également possible à condition de répondre à un intérêt collectif et professionnel.

– Une information de l’employeur : les revendications du salarié doivent être transmises à l’employeur au préalable.

Le mouvement sera considéré comme illicite s’il n’est pas conforme à cette définition du droit de grève. A défaut de la réunion de ces conditions, le participant à la grève ne pourra bénéficier de la protection offerte par le droit du travail.

• La protection étendue de l’exercice du droit de grève

L’article L.2511-1 du Code du travail dispose que l’exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde du salarié, et que tout licenciement prononcé en l’absence de faute lourde est nul de plein droit.

Ainsi, pour justifier le licenciement, il revient à l’employeur de pouvoir prouver que le salarié a commis une faute lourde, c’est-à-dire une faute qui a été commise avec l’intention de nuire à l’employeur.

En interdisant la rupture du contrat de travail fondée sur l’exercice du droit de grève, ou en réduisant cette possibilité au cas particulier de la faute lourde, le code du travail assure la protection des acteurs de la contestation.

Si la Cour de cassation juge depuis longtemps que le licenciement prononcé pour avoir participé à une grève est nul, elle a très vite étendu son champ d’application à tout licenciement prononcé à raison d’un fait commis au cours de la grève et qui ne pouvait être qualifié de faute lourde (2).

La question s’est récemment posée de savoir si cette protection pouvait également s’étendre à un fait commis dans la phase antérieure de la grève, lors la concertation entre salariés par exemple.

Les faits étaient les suivants : un salarié avait contacté les membres de son équipe travaillant sur d’autres sites pour leur faire part de son intention de faire grève et un autre collègue pour l’inciter à faire de même, en affirmant avoir le soutien des clients si un mouvement était déclenché. Les faits étaient donc antérieurs au début de la grève, qui n’a d’ailleurs pas eu lieu.

L’employeur y voyant une « démarche d’intimidation » envers ses salariés et une intention de nuire à son égard, avait licencié l’intéressé pour faute lourde au motif qu’il avait encouragé ses collègues de travail à faire grève.

Le salarié avait saisi la juridiction prud’homale afin de contester son licenciement puis la cour d’appel, devant laquelle il avait été débouté. Selon les juges du fond en effet, on ne pouvait pas considérer que l’intéressé avait été licencié pour avoir eu l’intention d’exercer son droit de grève, la lettre de licenciement lui reprochant non pas d’avoir souhaité mettre en œuvre ce droit à valeur constitutionnelle, mais d’avoir incité les membres de son équipe à mener une telle action en réponse au refus de la direction d’engager du personnel supplémentaire. Selon ces juges, donc, le fait pour l’employeur de sanctionner une intention de cesser le travail serait illicite mais celui de sanctionner une incitation à la grève ne le serait pas.

Cet arrêt est censuré par la Cour de cassation aux motifs que les faits reprochés au salarié ont bien été commis à l’occasion de l’exercice du droit de grève, que la définition jurisprudentielle de la grève étant une cessation collective et concertée du travail pour porter des revendications, il paraît logique d’inclure dans son exercice les phases de concertation entre salariés impliquant une certaine incitation.

Néanmoins, il convient d’apporter certaines nuances. La protection du droit de grève n’est pas absolue. Par exemple, dans des faits assez similaires, la Cour de cassation avait jugé valide le licenciement pour faute lourde d’un salarié qui avait bloqué la sortie d’un camion en exerçant des pressions sur des collègues afin de les inciter à empêcher les salariés non-grévistes de quitter les lieux pour exercer leur travail (3).

Dès lors, la protection offerte aux grévistes est à analyser de manière casuistique.

• Les limites de l’exercice du droit de grève

Au terme de l’article L. 2512-2 du Code du travail, toute grève dans le secteur public doit être précédée d’un préavis : ce préavis doit parvenir à l’autorité hiérarchique ou la direction de l’entreprise, de l’établissement ou de l’organisme cinq jours francs avant le déclenchement de la grève. L’inobservation du préavis constitue une faute lourde pour les salariés qui ont appelé à la grève, de même que pour les organisateurs de la grève (4).

Contrairement aux dispositions applicables dans les services publics, les salariés du secteur privé n’ont quant à eux pas à respecter un préavis de grève.

En outre, certaines limitations du droit de grève portent sur des secteurs particuliers tels que les transports. En effet, la loi no 2012-375 du 19 mars 2012 réglemente l’exercice du droit de grève dans le secteur du transport aérien de passagers.

La loi prévoit notamment la possibilité de négocier au préalable un accord-cadre avec les partenaires sociaux et d’engager obligatoirement des négociations entre employeurs et organisations représentatives qui envisagent d’exercer leur droit de grève.

Elle prévoit également l’obligation pour le salarié gréviste dont l’absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols, d’informer au plus tard 48 heures avant de participer à la grève de son intention d’y participer.

En conséquence, le droit de grève est un droit fondamental, garanti par la Constitution, sur lequel le Code du travail ne s’étend pas laissant ainsi la possibilité à d’autres sources d’encadrer la notion.

(1) (Cass, soc, 16 mai 1989, n°85-43.359).
(2) (Cass. soc. 22-1-1992 no 90-44.249 PF).
(3) (Cass. soc., 14 sept. 2017, no 16-16.069).
(4) (Cass. soc., 6 févr. 1985, no 82-16.447).

Photo par Ehimetalor Akhere Unuabona sur Unsplash
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