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La rémunération des salariés itinérants lors de leurs trajets domicile-travail

Le 23 novembre 2022, la Cour de cassation a décidé que les temps de déplacement domicile-travail et travail-domicile des salariés sans lieu de travail fixe peuvent constituer, sous certaines conditions, du temps de travail effectif. La Cour a opéré un revirement de jurisprudence respectant, en l’espèce, la primauté du droit européen sur le droit français. Sa décision a été rendue à la lumière de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) et de la Directive 2003/88/ CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003.

• Le droit européen

Au niveau européen, la directive concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail 2003/88/CE du 4 novembre 2003 impose aux États membres de l’Union Européenne de garantir à tous les travailleurs des règles minimales ayant trait à la durée du travail et au repos.

Par un arrêt du 10 septembre 2015 (1), la CJUE a jugé que l’article 2, point 1 de la directive concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail devait être interprété de la façon suivante :

« Lorsque les travailleurs n’ont pas de lieu de travail fixe ou habituel, constitue du temps de travail, le temps de déplacement que ces travailleurs consacrent aux déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites du premier client et du dernier client désignés par l’employeur ».

Dans l’affaire ayant mené à l’arrêt précité, la CJUE a jugé que le travailleur devait être considéré comme étant au travail durant son trajet dès lors que les déplacements sont inhérents à la qualité de travailleur n’ayant pas de lieu de travail fixe ou habituel, le lieu de travail de tels travailleurs ne pouvant pas être réduit aux lieux d’intervention physique de ces travailleurs chez les clients de leur employeur.

• Le droit du travail français

Le trajet domicile lieu de travail n’est en principe pas du temps de travail

En principe, le temps de déplacement d’un salarié pour se rendre de son domicile à son lieu de travail n’est pas du temps de travail effectif (2). Il n’est donc pas rémunéré comme tel par l’employeur.

En revanche, lorsque le temps de trajet passé par un salarié pour se rendre sur son lieu de travail dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il doit faire l’objet d’une contrepartie, soit sous forme de repos, soit sous forme financière, quand bien même il ne s’agit pas de travail effectif.

Ces contreparties, le plus souvent forfaitaires, peuvent être déterminées par un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par un accord de branche (3). À défaut d’accord, l’employeur les définit unilatéralement, après avoir consulté le comité social et économique (4).

Le cas des salariés itinérants

En 2018 (5), à propos d’un technicien de service après-vente itinérant, qui sollicitait un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires accomplies, la Cour de cassation a jugé qu’aux termes de l’article L.3121-4 du Code du travail :

– D’une part, le temps consacré par les salariés itinérants à leurs déplacements entre plusieurs sites d’intervention d’une même journée de travail est rémunéré comme du temps de travail effectif.
– D’autre part, le temps de déplacement quotidien entre leur domicile et les sites de leur premier et de leur dernier client ne constitue pas du temps de travail effectif et n’est donc pas rémunéré comme tel. En revanche, il doit faire l’objet d’une contrepartie quand il dépasse le temps normal de trajet.

Pour déterminer s’il y a un dépassement ou non du temps normal de trajet pour un salarié itinérant (6), la Cour de cassation a jugé que l”employeur devait prendre en compte le trajet domicile/agence de rattachement, et non le trajet entre le domicile et le client de référence chez qui le salarié se rend le plus souvent. La Cour de cassation a posé comme condition que cette agence soit à une distance raisonnable du domicile du salarié, de façon que le temps de trajet ainsi déterminé soit équivalent au temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail d’un salarié dans la région considérée (7).

• Le choix de la Cour de cassation de modifier sa jurisprudence

Le 23 novembre 2022, la Cour de cassation a choisi de modifier sa jurisprudence.
Tenant compte du droit de l’Union européenne, la Cour de cassation a pris en compte les contraintes auxquelles les salariés étaient réellement soumis pour déterminer si le temps de trajet des travailleurs itinérants constitue ou non un temps de travail effectif.

Dans cette affaire, le salarié devait, en conduisant pendant ses déplacements, grâce à son téléphone portable professionnel et son kit main libre intégré dans le véhicule, être en mesure de fixer des rendez-vous, d’appeler et de répondre à ses divers interlocuteurs, clients, directeur commercial, assistantes et techniciens, et exerçait des fonctions de « technico-commercial » itinérant. Le salarié ne se rendait qu’occasionnellement au siège de l’entreprise et disposait d’un véhicule de société pour intervenir auprès des clients de l’entreprise répartis sur 7 départements du Grand-Ouest.

Par son arrêt du 23 novembre 2022, la chambre sociale a jugé que, lorsque les temps de déplacement accomplis par un salarié itinérant entre son domicile et les sites des premier et dernier clients répondent à la définition légale du temps de travail effectif (8), ces temps ne relèvent pas du champ d’application de l’article L.3121-4 du Code du travail, fixant le régime des temps de déplacement professionnels pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail.

Ainsi, en cas de litige, le juge devra désormais vérifier si, pendant ce temps de trajet, le salarié itinérant doit se tenir à la disposition de l’employeur et se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.

Si tel est le cas, ce temps de trajet devra être pris en compte dans le temps de travail effectif, notamment au titre du décompte des heures supplémentaires réalisées.

Dans le cas contraire, le salarié itinérant ne pourra prétendre qu’à la contrepartie financière ou sous forme de repos prévue par l’article L.3121-4 code du travail, lorsqu’il dépasse le temps normal de trajet entre son domicile et son lieu habituel de travail.

(1) CJUE 10-9-2015 aff. 266/14, Federacion de Servicios Privados del sindicato Comisiones obrera.
(2) Article L. 3121-4 du Code du travail.
(3) Article L. 3121-7 du Code du travail.
(4) Article L. 3121-8 du Code du travail.
(5) Cass. soc. 30-5-2018 n° 16-20.634.
(6) Salariés qui ont pour lieu de travail les locaux des clients.
(7) Cass. soc. 30 mars 2022, n° 20-17.230.
(8) Article L. 3121-1 du Code du travail.

Photo par Sebastian Herrmann sur Unsplash
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