L’interdiction faite au steward d’une compagnie aérienne de se présenter à l’embarquement avec des cheveux longs coiffés avec des tresses nouées en chignon au motif que cette coiffure n’est pas conforme aux règles internes de l’entreprise, caractérise, selon un arrêt récent de la Cour de cassation (1), une discrimination directement fondée sur l’apparence physique en lien avec le sexe.
• L’apparence physique dans la liste des discriminations prohibées
Le Code du travail, en son article L. 1132-2, prohibe toute inégalité de traitement entre les salariés en raison notamment de son origine, son sexe, ses mœurs, son identité ou encore son apparence physique. L’interdiction des discriminations reposant sur l’apparence physique a été introduite dans le Code pénal (2) et le Code du travail par l’article 1er de la loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001.
• Des restrictions de l’employeur justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché
Indépendamment de ce principe d’égalité de traitement, la Cour de cassation s’est prononcée, à plusieurs reprises au sujet de limites vestimentaires ou, plus rarement de conditions liées à l’apparence physique qui peuvent être imposées aux salariés, pour autant que l’objectif soit légitime, justifié par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.
S’il est admis que l’employeur peut soumettre les salariés à des contraintes liées à l’apparence physique et à l’habillement, la Cour de cassation rappelle régulièrement que les exceptions doivent être entendues strictement et être dûment justifiées.
L’apparence physique couvre assurément la taille, le poids et l’esthétique. La question de savoir si elle englobe également les tenues vestimentaires, les coiffures, la barbe, les tatouages et les piercings reste discutée même s’il peut être relevé que la Cour d’appel d’Aix-en-Provence (3) a récemment jugé que le licenciement d’un salarié ambulancier motivé par le fait qu’il portait des tatouages était nul.
Dans cette affaire, l’employeur avait fait valoir que les dispositions contractuelles et conventionnelles n’avaient pas été respectées par le salarié en décidant de se faire tatouer de manière très apparente des lettres gothiques sur les mains et un dragon sur le cou. L’employeur se référait d’une part, au contrat de travail du salarié qui prévoyait qu’il devait se présenter correctement vêtu avec un aspect soigné et d’autre part, à l’article 22 bis de la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport qui précise que la présentation et la tenue du personnel doivent être particulièrement soignées. Néanmoins, la Cour a jugé que l’employeur avait eu des agissements discriminatoires à l’encontre du salarié. La Cour a notamment considéré que :
– le port de tels tatouages n’était pas objectivement de nature à choquer des clients
– l’objectif poursuivi par l’employeur ne relevait pas de la santé, la sécurité, l’hygiène, la décence, ou la nécessité d’être identifié par la clientèle,
– plus généralement, l’absence de tatouages n’est pas en phase avec l’évolution de la société dans laquelle le port de tatouages est de plus en plus répandu y compris chez des individus plus âgés.
Dans le cadre d’un règlement intérieur ou d’un code de conduite, un employeur peut énoncer un certain nombre de contraintes vestimentaires ou liées à l’apparence physique s’imposant aux salariés mais la restriction doit répondre strictement aux exigences de son activité professionnelle.
À titre d’illustration, s’agissant de l’apparence physique, la Cour de cassation a, déjà reconnu comme valide le licenciement d’une danseuse du Moulin Rouge en raison de son poids, jugeant ainsi que son apparence physique constituait une exigence professionnelle objective compte tenu de son métier de danseuse qui impliquait des critères physiques et esthétiques particuliers (4).
La Cour avait également reconnu le droit pour l’employeur de prohiber le port du survêtement par une salariée d’une agence immobilière en contact avec la clientèle (5).
Contrairement à l’arrêt rendu le 23 novembre 2022, ces arrêts se contentaient d’apprécier la discrimination en raison de l’apparence physique de manière isolée, au regard de l’environnement professionnel dans lequel évoluait le salarié, sans traiter dans le même temps, de la question de l’égalité entre les sexes.
La Cour de cassation avait cependant déjà rendu une décision similaire à celle du 23 novembre 2022, par un arrêt du 11 janvier 2012 aux termes duquel elle avait reconnu la discrimination directe fondée sur l’apparence physique rapportée au sexe dans le fait d’interdire à un chef de rang d’un restaurant de porter des boucles d’oreilles parce qu’il était un homme (6).
• Les discriminations liées à l’apparence physique selon le Défenseur des droits
Par ailleurs, le Défenseur des droits a publié une décision cadre le 2 octobre 2019 qui mettait en lumière l’accroissement des discriminations liées à l’apparence physique dans le monde du travail (7) en l’illustrant par de nombreux exemples de licenciements fondés sur le poids (8), la coiffure (9) ou encore le port de piercing (10) et qui ont, en conséquence, été jugés abusifs.
Le Défenseur des droits retient une conception large des discriminations reposant sur l’apparence physique.
Dans cette décision cadre du 2 octobre 2019, il détaille, recommandations à l’appui, les pratiques à proscrire (11) :
– sanctionner systématiquement les prises de poids dans les métiers comportant des exigences physiques et/ou esthétiques ;
– imposer « certains codes (vestimentaires) stricts et conservateurs » tels que talons, jupes et décolletés ;
– interdire les coiffures de cheveu texturé ou imposer des coupes obéissant à des normes eurocentrées ;
– prohiber, sauf impératif de sécurité, le port de la barbe ;
– apporter des restrictions, non exigées par le poste lui-même, aux expressions corporelles (tatouages et piercings) ;
– édicter des règles de nature notamment à porter atteinte à la liberté religieuse, véhiculant du sexisme ou spécifiques au sexe, au genre ou aux origines ethniques.
Le Défenseur des droits rappelle toutefois les circonstances pouvant autoriser certaines de ces pratiques : circonstances exceptionnelles et dûment justifiées, impératif d’hygiène et de sécurité, indécence, troubles provoqués dans l’entreprise, réprobation de la clientèle.
L’arrêt de la Cour de cassation du 23 novembre 2022 porte sur les restrictions qui peuvent être apportées à l’apparence physique et leur articulation avec le principe d’égalité de traitement entre les sexes.
Cette jurisprudence est novatrice puisqu’elle reprend directement les termes de la jurisprudence communautaire et se prononce sur « la perception sociale de l’apparence physique des genres ».
La Cour de cassation casse et annule la décision de la Cour d’appel et rappelle que les différences de traitement en raison du sexe doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle véritable et déterminante et être proportionnées au but recherché. La jurisprudence de la CJUE et les textes communautaires sont ici directement repris (12).
Les employeurs sont donc aujourd’hui appelés à faire preuve de vigilance dès lors qu’une différence de traitement sera opérée notamment en raison de cheveux et, plus généralement, de l’apparence. Les discriminations sont un sujet d’une vive actualité. Elles font d’ailleurs l’objet d’un plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations présentées par le gouvernement le 30 janvier 2023.
(1) Cass. soc. 23-11-2022 n° 21-14.060 FP-BR, T. c/ Sté Air France.
(2) Article 225-1 du Code pénal.
(3) CA d’Aix-en-Provence, 4ème Chambre, 29 janvier 2021, n° 17/18160.
(4) Cass. soc., 5 mars 2014, n° 12-27.701.
(5) Cass. soc., 6 nov. 2001, n° 99-43.988.
(6) Cass. soc., 11 janv. 2012 n° 10-28.213 FS-PB.
(7) Décision cadre n° 2019-205.
(8) CA Paris, 16 janv. 2014, no 12/01734.
(9) CA Rennes, 12 octobre 2011.
(10) CE, 4 juill. 2018, n° 419180.
(11) Décision-cadre, Défenseur des droits, no 2019-205, 2 oct. 2019.
(12) Article 4, $1 Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, CJUE, 14 mars 2017, Micropole Univers, C-188/15.