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Droit des marques : Guerlain et son rouge G

Droit des marques : Guerlain et son rouge G

Photo par Nathan Powers sur Unsplash
« La marque », est une notion tout à la fois juridique et marketing que nous connaissons tous.

Car nul besoin d’être juriste pour percevoir qu’une marque revêt une valeur essentielle dans le monde concurrentiel.

La marque permet de distinguer les produits et les services sur le marché, en leur attribuant une origine commerciale.

Le public connait, sans les nommer par leur désignation juridique, les marques verbales, semi-figuratives et figuratives, qui sont les marques dites « classiques », telles que :
CLUB MED, NIKE, SBL, SBL, GALLIMARD, etc.

Moins connues sont les autres types de marques, telles que les marques sonores, les marques olfactives et les marques tridimensionnelles.

Mais la nature particulière de ces dernières ne les fait pas déroger au critère légal de protection : pour être protégées en tant que marques, elles doivent être distinctives, c’est-à-dire distinguer et indiquer l’origine des produits et services. Pour ce faire le signe ne doit pas être usuel, générique, nécessaire et s’il est constitué par la forme du produit, ne pas être imposée par sa nature ni être nécessaire à l’obtention d’un résultat technique.

Nous allons nous attarder sur la marque tridimensionnelle, qui peut apparaître comme étant plus difficile à protéger qu’une marque dite classique, en termes de reconnaissance de son caractère distinctif.

Comment savoir si le public identifiera l’apparence du produit comme indicateur de son origine commerciale ?

Guerlain s’est heurté à cette question, après que l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (« OUEPI »), puis la Chambre des recours, lui aient refusé la protection, à titre de marque tridimensionnel, de son tube de rouge à lèvres déposé le 19 octobre 2018 comme suit :

SBL

L’Office, puis la Chambre des recours le 2 juin 2020, ont en effet considéré que « la simple forme rectangulaire aux bords arrondis » du tube de rouge à lèvres n’était pas assez distinctive des autres produits présentés sur ce même marché. A fortiori, la demande a été rejetée pour défaut de caractère distinctif du signe dont il était demandé la protection.

SBL

Le 14 juillet 2021, le Tribunal de l’Union Européenne a apprécié différemment la question qui lui était posée.

Il a en effet considéré que ce tube de rouge à lèvres présentait une forme distinctive au motif qu’elle divergeait de manière significative de la norme et des habitudes du secteur concerné.

Cette divergence significative a été retenue à l’issue du raisonnement suivant :

– la forme du tube de rouge à lèvres rappelle celle d’une coque de bateau ou d’un couffin ;

– une telle forme diffère significativement des images prises en considération par la chambre de recours et qui représentaient, pour la plupart, des rouges à lèvres de formes cylindriques et parallélépipédiques ;

– la présence de la petite forme ovale en relief est insolite et contribue à l’apparence inhabituelle de la marque demandée ;

– le fait que le rouge à lèvres représenté par cette marque ne peut pas être positionné de manière verticale renforce l’aspect visuel inhabituel de sa forme.

Le Tribunal a conclu que le public pertinent serait surpris par la forme facilement mémorisable du tube de rouge à lèvres et qu’il la percevrait comme divergeant de manière significative de la norme et des habitudes du secteur des rouges à lèvres.

Il constituait alors un signe distinctif et pouvait être enregistré à titre de marque.
Il s’agit d’une belle victoire pour la Société Guerlain, tout en minimisant toutefois sa portée en l’espèce.

En effet, d’une part,
La problématique de la marque tridimensionnelle n’est pas nouvelle pour la Société Guerlain, qui est déjà titulaire de marques tridimensionnelles enregistrées auprès de l’Union européenne, qui couvrent essentiellement des bouteilles de parfums.

En outre, s’agissant du cas particulier,
Il est à noter que la Société Guerlain, parallèlement à la procédure dont objet, avait déposé, le 6 novembre 2020, une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne portant sur le tube rouge à lèvres ci-dessous, ressemblant fortement au visuel de la marque de l’Union européenne dont objet mais revêtu du nom Guerlain et visuellement bien mieux représenté :

SBL

Or, cette marque a été acceptée à l’enregistrement par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle dès le 24 février 2021, soit antérieurement à la décision du Tribunal de l’Union européenne.

Si la décision du Tribunal a le mérite de rappeler le critère permettant de retenir le caractère distinctif d’une marque tridimensionnelle, i.e. diverger de manière significative de la norme et des habitudes du secteur concerné, elle est l’occasion pour nous de mettre en lumière la double protection possible de produits à titre de marques et de dessins et modèles, sous réserve, naturellement, de répondre aux critères requis pour chacun de ces titres de propriété industrielle :

– nouveauté et caractère propre, s’agissant des dessins et modèles ;

– caractère distinctif et non descriptif – notamment -, s’agissant des marques.

Sous réserve que le produit soit original, dans son apparence, il pourrait également être protégé par le droit d’auteur.

Cette affaire est ainsi l’occasion de vous alerter sur les différentes protections possibles dont peuvent bénéficier les produits.
Vigilance et prospective sont essentielles pour assurer une protection optimale de vos actifs de propriété intellectuelle.

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