L’engouement actuel pour les NFTs (« Non Fungible Token » ou jetons non fongibles), notamment pour leur usage dans le monde de l’art, pose de vraies questions en termes de propriété intellectuelle. La qualification du NFT en œuvre de l’esprit au sens du Code de Propriété Intellectuelle (CPI) n’est pas évidente. Notre département Propriété Intellectuelle fait le point sur les droits de l’auteur de l’œuvre, les droits du propriétaire du NFT et les dernières actualités.
Les NFTs désignent des actifs numériques émis par la blockchain, sur laquelle ils sont stockés. Concrètement, ou à tout le moins de la façon la plus imagée possible, il s’agit de jetons numériques non-fongibles, valant titres, qui donnent accès à un objet numérique unique et non-interchangeable.
Les NFTs sont surtout au centre de l’actualité en raison des montants astronomiques atteints pour leur prix de vente :
– le NFT « Everydays : the First 5000 Days » de l’artiste américain Beeple, vendu par Christie’s pour plus de 69 millions de dollars,
– la collection d’œuvres musicales de Grimes, vendue en février 2021 pour 5,8 millions de dollars,
– la collection de NFTs de bijoux et vêtements Dolce & Gabbana, vendue plus de 6 millions d’euros.
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La qualification du NFT en œuvre de l’esprit au sens du Code de Propriété Intellectuelle (CPI) n’est pas évidente.
En effet, si la liste des œuvres couvertes par le droit d’auteur prévue à l’article L. 112-2 du CPI n’est pas exhaustive et ce, dans le but de ne pas cloisonner le champ de la protection à certaines formes d’art, les NFTs posent question :
– d’une part, leur processus de création découle d’un système informatisé, ce qui oblige à se questionner sur l’empreinte de la personnalité de l’auteur sur le NFT, condition indérogeable d’originalité permettant la qualification d’une l’œuvre de l’esprit,
– d’autre part, le NFT est un titre numérique de propriété donnant accès au fichier numérisé contenant l’œuvre.
Aussi, le propriétaire d’un NFT, s’il a accès à l’œuvre, n’est pas pour autant titulaire des droits d’auteur sur cette œuvre.
A défaut d’être qualifié d’œuvre de l’esprit, le NFT constitue un commencement de preuve de la propriété de l’objet numérique (3), par son inscription sur la blockchain.
En effet, chaque inscription sur la blockchain produit une empreinte numérique unique sous la forme d’une suite de chiffres et de lettres qui est associée à un seul et unique document. De plus, ce processus est associé à l’horodatage qui associe cet événement à une date et heure précises.
Son application au droit d’auteur s’apparente alors à l’enveloppe Soleau qui permet de dater une œuvre.
Sous réserve d’avoir prévu des dispositions contractuelles, via un smart contract, le NFT assure à l’auteur un droit de suite de l’œuvre accessible via le NFT.
Le droit de suite permet à l’auteur, ou à ses ayants-droits, de toucher un pourcentage de la vente du support de l’œuvre dès lors que celle-ci est effectuée par un professionnel du monde de l’art, et ce, historiquement, dans le but de récompenser l’effort de l’artiste, qui aurait connu le succès après sa mort.
Cependant, l’article L. 122-8 du CPI limite le champ d’application du droit de suite aux œuvres plastiques et graphiques.
Ainsi, si le NFT n’est pas le support de l’œuvre, ni une œuvre de l’esprit, comme nous l’avons évoqué précédemment, il ne devrait pas bénéficier du droit de suite.
En pratique, par l’inscription du NFT dans la blockchain et grâce au smart contract, toute cession du NFT est enregistrée. Cela permet ainsi à l’auteur de l’œuvre d’en suivre les transferts de propriété.
Au regard de ce qui précède, l’impact des NFTs et la portée juridique qui leur est attribuée sont encore incertains. Toutefois, l’année 2022 devrait apporter des réponses, grâce aux actualités pendantes :
– l’action en contrefaçon intentée par la Maison Hermès, à l’encontre de Mason Rothschild, auteur de la collection de NFTs « MetaBirkin » reproduisant des sacs en fourrures inspirés du sac Birkin d’Hermès,
– les conclusions du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) qui sont attendues pour le mois de juin 2022. Le CSPLA a été chargé de dresser un état des lieux afin d’appréhender les effets juridiques des NFTs,
– les différents offices de propriété industrielle saisis de demandes de protection de marques, telles que les demandes de marques du Groupe L’Oréal désignant en classe 9, des produits jusqu’alors inconnus de la classification de Nice : Biens virtuels téléchargeables, à savoir des programmes informatiques relatifs à la parfumerie, aux produits de toilette, aux cosmétiques, au maquillage, aux préparations de soins de la peau, aux préparations de soins du corps et aux préparations de soins du visage ; des préparations de soins capillaires et des préparations de coloration des cheveux à utiliser en ligne et dans des mondes virtuels en ligne.
Un sujet brûlant que nous suivrons donc, et pour toute question relative aux NFTs, contactez notre département Droit de la Propriété intellectuelle.
(1) Beeple’s collage, Everydays: The First 5000 Days, sold at Christie’s. Image : Beeple, https://www.theverge.com/2021/3/11/22325054/beeple-christies-nft-sale-cost-everydays-69-million.
(2) Dolce & Gabbana’s Dress From A Dream, Courtesy UNXD and Dolce&Gabbana, source Vogue : https://www.vogue.fr/mode/article/dolce-gabbana-nft-venise-collezione-genesi.
(3) Ce qui a été admis en réponse à la Question n° 22103 posée à l’Assemblée Nationale en date du 10 décembre 2019.