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SBL - Évolution et déchéance de marque

Dans notre newsletter « Marques » du 25 juin dernier, nous rappelions que tout titulaire d’une marque doit en faire un usage sérieux – à savoir l’utiliser de façon effective et conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été déposée.
A défaut d’un tel usage sérieux dans les 5 ans suivant l’enregistrement de la marque (la durée peut varier, selon les pays), ou pendant une période ininterrompue de 5 ans (idem), les droits sur la marque concernée sont susceptibles de faire l’objet d’une action en déchéance totale ou partielle (1).

Quid de cette règle lorsque la marque exploitée est modifiée et devient différente de celle exploitée ?

Il est courant, au cours de la vie d’une marque, que la forme sous laquelle elle a été enregistrée évolue.
Modernisation d’un logo, suppression d’éléments verbaux descriptifs, allègement visuel ou verbal, changement de couleurs, de polices d’écritures, etc.

Ces nouvelles versions – non enregistrées – valent-elles l’usage requis pour maintenir ses droits sur la marque initiale enregistrée sans encourir la déchéance ?

Le législateur, conscient des évolutions possibles des marques enregistrées, renouvelables indéfiniment en l’absence de difficultés spécifiques, a prévu qu’est valable « l’usage de la marque, par le titulaire et avec son consentement, sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif, que la marque soit ou non enregistrée au nom du titulaire sous la forme utilisée » (2).

Cette disposition permet de faire évoluer la forme d’une marque, dans le cadre de son exploitation commerciale, avec des variations qui permettent de mieux l’adapter aux exigences de commercialisation et de promotion des produits ou des services concernés. La condition est la suivante : que les variations apportées au signe enregistré ne modifient pas le caractère distinctif de celui-ci, à savoir ne modifie pas ce qui le caractérise.

Comment apprécier les limites de ces évolutions de marques ? Jusqu’où est-il possible de modifier la forme de sa marque sans encourir la déchéance de ses droits au motif que la forme nouvelle ne conserverait pas le caractère distinctif de la marque première ?

Il s’agit, certes, d’une question de droit. Il s’agit tout autant, d’une question d’appréciation. Dès lors, quelles modifications sont susceptibles d’altérer, ou non, le caractère distinctif de votre marque, en pratique ?

Des exemples passés apportent des outils d’appréciation. En voici quelques-uns.

Usage d’une marque verbale avec une orthographe très légèrement modifiée

Terrafor

Les preuves d’usage requises présentaient des supports publicitaires pour le produit « TERRAFOR ‘ventre plat’ ». Celles-ci montraient donc un usage du signe « TERRAFOR » et non « TERAFOR ».
La Cour d’appel de Paris a considéré que le doublement de la lettre R n’entraînait pas une modification de sonorité du signe enregistré, que cette modification ne serait pas relevée par le public et, en conclusion, que le caractère distinctif de la marque ne s’en trouvait pas altéré (3).

Usage d’une partie du signe enregistré – la saga « MONKIOSQUE »

MONKIOSKE

La marque « MONKIOSQUE.FR MONKIOSQUE.NET » de la Société Toutabo, dont la déchéance des droits était demandée par la Société Lekiosque.fr, a été qualifiée de sérieusement exploitée pour désigner des services de publication électronique et en ligne, et ce malgré son usage sous une forme légèrement modifiée (4).

Il a en effet été jugé que :

– l’adjonction d’un élément figuratif et de couleurs n’altérait pas le caractère distinctif de la marque dès lors que celle-ci se lirait « monkiosque » en une seule fois – les éléments verbaux qui la composent se trouvant reproduits – , et qu’elle ne tirait pas sa distinctivité du doublement du même mot,
– les extensions <.fr> et <.net> n’étaient liées qu’aux nécessités de l’internet et ne présentaient pas plus de caractère distinctif.

Usage d’une seule partie du signe enregistré à titre de marque

CORA

Lorsqu’une marque est exploitée sous une forme « raccourcie », un tel usage vaut-il usage de la marque telle qu’enregistrée ?

Si le retrait de termes descriptifs tels que le nom du produit ou du service (comme chocolat, coiffure, assurance, etc.) a pu être reconnu comme n’altérant pas le caractère distinctif de la marque enregistrée, la suppression d’éléments verbaux concourant à l’impression d’ensemble du signe enregistré est considérée comme altérant le caractère distinctif du signe enregistré à titre de marque.

Ainsi, pour exemple, l’usage du signe ‘CORA’ aux lieux et places de la marque enregistrée ‘CORA HARMONY’ (5) ne vaut pas usage de cette dernière et les droits attachés à celle-ci encourent la déchéance pour non-usage sérieux.

Il a en effet été considéré, en substance, que :

– Si le signe ‘CORA HARMONY’ inclut ce terme arbitraire ‘CORA’ en attaque, il est visuellement plus long, étant composé de deux termes constituant un tout dans lequel le terme second ‘HARMONY’ est important au plan visuel comme comprenant 7 lettres sur les 11 lettres du signe et attirant l’attention par son orthographe étrangère.
– Conceptuellement, cette marque renvoie à une évocation propre du fait de la présence du mot ‘HARMONY’ même si celui-ci est placé en second. Ce mot sera en effet immédiatement compris par le public français comme ‘HARMONIE’, à savoir comme une qualité d’adaptation à une fin certes susceptible de qualifier le terme premier ‘CORA’ mais renvoyant spontanément à l’idée particulière d’un assemblage ou d’accord d’un ensemble, totalement inexistante dans l’usage du seul terme ‘CORA’ et en modifiant ainsi incontestablement la perception.
– Rien n’incite le public concerné à croire qu’un de ces produits, présenté comme étant un produit Cora, serait un produit de marque ‘CORA HARMONY’ alors que cette expression, pas plus qu’une quelconque référence à une ‘harmonie’ ou recherche d’harmonie n’est jamais utilisée ni même évoquée par la société Cora, pour les commercialiser.

Forme modifiée d’une marque semi-figurative

PMU

La cour a retenu que la modification invoquée par les demandeurs à l’action en déchéance, à savoir « la forme du cartouche avec la suppression des crinières stylisées d’une tonalité plus claire » ne peut être regardée comme altérant le caractère distinctif des signes tels que déposée aux motifs que :

– La couleur attractive de chaque cartouche demeure inchangée,
– L’élément verbal qui constitue l’élément essentiel du dépôt demeure inchangé et est repris en minuscules avec l’initiale en majuscule.

Dès lors, la perception visuelle et intellectuelle demeure très voisine tandis que la perception phonétique est strictement identique (6).

Ainsi, la forme modifiée PMU vaut usage de la marque enregistrée PMU.

(1) Article L.714-5 du code de la propriété intellectuelle et article 58(1)(a) du Règlement UE 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne.
(2) Article L.714-5 al.2 3° du code de la propriété intellectuelle.
(3) Cour d’appel de Paris, pôle 5 ch. 1, 25 février 2020, n°17/15117.
(4) Cour de cassation, ch. com., 12 décembre 2018, n°17-18.391.
(5) Cour d’appel de Paris, pôle 5 ch.2, 07 juin 2019, n°17/17646.
(6) Cour d’appel de Paris, pôle 5 ch.2, 07 juin 2019, n°17/17646.

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